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L'industrie du troisième millénaire

  in Libération - lundi 29 septembre 2003 - économie

"Trois ans après son introduction en Bourse, Artprice, une start-up spécialiste du marché des cotations d'oeuvres d'art, demande des comptes à ses banquiers."

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La bulle Internet rebondit au tribunal

Artprice accuse ses banques de l'avoir spoliée lors de sa mise en Bourse.

Flash-back sur la bulle Internet au tribunal de commerce de Paris. Trois ans après son introduction en Bourse, Artprice, une start-up spécialiste du marché des cotations d'oeuvres d'art, demande des comptes à ses banquiers.

L'audience un peu surréaliste s'est déroulée vendredi. Au centre du conflit, les conditions de son introduction sur le nouveau marché début 2000. Thierry Ehrmann, le fondateur d'Artprice, dont il possède 63 % du capital, en veut aux «coquins», les banquiers d'affaires qui ont «spéculé» derrière son dos. Il les accuse de lui avoir caché l'immense engouement qu'a suscité la mise sur le marché de sa société, et, in fine, de l'avoir spolié. Le jugement a été mis en délibéré.

Exubérance. L'histoire remonte à janvier 2000, lorsque Artprice se met à lever des fonds et que l'Internet est en train de gonfler sa bulle. Il suffit alors de coller une étiquette Internet sur un projet pour que tout le monde - fonds de capital-risque, banquiers d'affaires et boursicoteurs - se dispute son financement.

Artprice fait ses premiers pas en Bourse en pleine exubérance. Thierry Ehrmann veut mettre sur le marché 18 % du capital de sa société, soit 1,15 million d'actions. Il confie à Oddo, Pinatton et KBC le soin, en tant qu'introducteurs teneurs de marché (ITM), de mener à bien l'opération. Une fourchette de prix est établie, entre 17,53 et 19,06 euros. Les trois introducteurs font alors le tour de leurs clients institutionnels et consignent dans un «livre d'ordres» leurs intentions d'achat pour la fourchette de prix établie. L'appétit des acheteurs est tel que le prix final du titre sera fixé d'un commun accord - et en avance sur le calendrier - dans le haut de la fourchette, soit 19,06 euros. La mise en Bourse confirme l'attrait des investisseurs. Le grand public, auquel sont réservés 30 % des titres, réclame presque dix fois 94 fois [erratum libération rectification 30/09/03] plus d'actions que leur quota.

La Bourse est sur un petit nuage : le site Multimania, le courtier en ligne Selftrade, le site de mesure d'audience Netvalue ou encore le site de diffusion audiovisuelle Canalweb, introduits en Bourse peu après, rencontrent eux aussi un franc succès.

Au final, pour Artprice, tout se déroule selon les standards de l'époque. Les titres s'enlèvent comme des petits pains, puis changent à toute allure de main - 1,18 million de titres en trois jours - tandis que le cours bondit à 55 euros. Sur le coup, Artprice n'a pas l'air mécontent de l'opération puisque, précise-t-on chez Oddo-Pinatton, Ehrmann va confier à la firme, huit mois plus tard, le soin d'introduire en Bourse une autre société de son groupe, Tracing Server.

Expertise. Il n'empêche, presque trois ans après l'épisode, Artprice se réveille. La société a englouti, selon son créateur, 18 millions d'euros d'investissement pour construire ses bases de données mais elle peine à atteindre la rentabilité. Ehrmann récuse aujourd'hui le prix fixé pour l'introduction en Bourse. A l'entendre, son entreprise, sous-valorisée, aurait pu lever les mêmes fonds sans ouvrir autant son capital.

Vendredi, son avocat, Me Alain Jacubowicz, a réclamé devant le tribunal une expertise du processus et surtout la remise en mains propres du fameux livre d'ordres. Il veut y trouver la preuve que la fourchette de prix de 17-19 euros fixée a priori était beaucoup trop basse. Il dénonce le placement «friends and family» («en famille») des titres d'Artprice auprès des investisseurs chouchous d'Oddo, Pinatton et KBC, de façon à leur faciliter la culbute. Au final, il chiffre le préjudice subi par Artprice et ses actionnaires à 41 millions d'euros, soit le montant de la plus-value réalisée sur les titres Artprice les trois premiers jours. La démonstration se veut provocatrice.

Le juge a finalement repoussé la demande d'expertise et de remise du livre d'ordres. L'avocat d'Artprice a désormais l'intention d'intenter une action sur le fond. «Il n'est pas exclu que nous allions au pénal», faisait-il savoir samedi. Chez Oddo-Pinatton, on justifie le prix d'introduction de 19,06 euros retenu à l'époque. «C'est un chiffre argumenté, construit à partir d'une analyse financière de la société.» Un chiffre qui aujourd'hui pourrait sembler prudent. Vendredi à la clôture de la Bourse, l'action Artprice s'échangeait à 0,91 euro. En recul de 11,65 % sur le début de l'année.

Catherine MAUSSION

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